VI
Il avait ordonné qu’on écarte les sofas et les poufs, les vases, les statues, qu’on étouffe les brûleurs à parfum, qu’on ferme les rideaux, et pas seulement les voiles de brocart mais aussi les gros draps lourds doublés de molleton qu’on ne dérangeait jamais. Il avait fait aligner des lampes de cuivre le long des murs et rouler les tapis sur une première, une deuxième et parfois une troisième couche jusqu’à ce que le plancher soit nu.
L’ampleur du déménagement devait refléter l’étendue de sa colère. Il ne voulait plus de l’exubérance de son terrier de taffetas qui ne convenait pas à un tribunal.
Au bout du vide que n’emplissait plus que le souvenir du santal, il avait gardé sur son estrade sa table sans pieds, vernie à la gomme rouge, et un simple coussin sur lequel il se tenait assis, les jambes croisées et les yeux mi-clos.
Le Grand Khan, immuable, absorbait les regards comme un monstrueux soleil noir. Dans la salle, nul ne savait combien de temps durerait le silence. Il fallait attendre, ne pas troubler l’air immobile et, peut-être, savourer ces derniers instants de sérénité.
Il avait disposé sur sa gauche, en retrait, ses trois Annamites en robes noires qu’il avait soustraites, encore enfants, à une exposition coloniale comme un lot d’invendus qu’il s’était offert.
Sur sa droite, seule, se tenait sa favorite, la fille du ferronnier de Montreuil qui, sur un coup de tête d’adolescente, avait fait le mur de la demeure familiale pour aller chercher l’exotisme à trois rues de là, au royaume de la Horde d’Or. À genoux sur le sol, les mains posées sur les cuisses, il y avait dans son port plus d’Indochine que chez ses sœurs ; dans ses cheveux qu’elle teignait au noir d’Espagne et qu’elle gardait huilés pour éviter qu’ils frisent ; dans sa minceur sans défaut tendue d’une robe de soie sans plis qu’elle était autorisée à porter rouge.
Dominant la salle du haut de l’estrade, toutes quatre encadraient le seigneur de leur dévouement raffiné.
En face, les lieutenants de la Horde avaient formé deux rangs impeccables. À genoux eux aussi, directement sur le sol, chacun avait vérifié sur ses voisins qu’il n’écorchait pas le bel alignement. Ils avaient posé casquettes et chapeaux devant eux et laissé leurs armes à l’entrée. Certains avaient pris la peine de revêtir un costume pour l’occasion, d’autres étaient arrivés au sortir du bureau ou du chantier, en blouse de toile ou en pull de laine. Tous portaient le brassard de crêpe noir que leur avait imposé le Grand Khan, comme une nouvelle coutume, comme le deuil affiché par avance de l’accusé du jour.
Car, au centre du tribunal, il y avait un accusé. Un roux colossal dont la tignasse coulait, sauvage, jusqu’aux épaules. Un hercule de fête foraine que, dans le milieu parisien, tout le monde appelait l’Américain depuis le spectacle triomphal du grand Buffalo Bill au pied de la tour Eiffel. Du caïd à la petite frappe, tous avaient été impressionnés par sa ressemblance avec l’illustre aventurier. L’histoire avait couru dans les bars louches et les hôtels de passe, et le jour vint où l’on se mit à croire que l’Américain, né Jacques Drion, chassait le bison à la Winchester. Il comprit vite la notoriété qu’il pouvait tirer de la ressemblance et la cultiva à outrance. Un bouc touffu et des moustaches flamboyantes, un manteau long à col de chat sauvage, des bottes en cuir de vachette et un haut-de-forme aplati comme on en porte dans le nouveau monde. En quelques mois, il s’était fabriqué une légende de tueur d’indiens qui faisait la fierté de ses troupes, bienheureuses de s’approprier leur part de ce prestige exotique.
Mais avec les années, l’imitation avait tourné à l’incarnation et il lui était devenu de plus en plus insupportable de se contenter d’une vie de racket, de trafics et de traite des Blanches. Sa tête encombrée des plaines de l’Ouest ne s’accommodait plus de la sérénité tout orientale du Grand Khan, qu’il finit par percevoir comme un obstacle à ses rêves de Dodge City-sur-Seine. Alors, il avait saisi la moindre occasion d’imposer son style et avait infléchi, par petites touches, la façon chinoise, toute faite de ces non-dits et de cette finesse qu’il abhorrait.
Peu à peu, son secteur devint le plus chaud de la capitale. On s’y empoigna dans les bars comme dans des saloons, on y régla même certains différends au calibre, face à face à cent pas, dans un terrain vague de banlieue. Tout cela sous l’œil du seigneur de Paris, qui feignait l’indulgence.
Les plus anciens avaient bien essayé de le prévenir mais l’Américain avait poussé ses manières de grand Ouest sans se soucier de ce regard de plus en plus pesant.
Jusqu’à la faute. La faute qui l’avait amené là, à genoux, le front contre le sol, prosterné devant son juge, son bourreau, son maître trahi.
Le Grand Khan n’avait toujours pas bougé. Statue de Bouddha indolente, les yeux en amande tirés par un petit chignon trop serré. Le seigneur était un monument d’apaisement, un monument d’autorité et un monument de chair. Il ressemblait à ces lutteurs japonais dont il avait adopté le simple kimono de coton imprimé et la coiffure sophistiquée.
Lorsqu’il s’était installé à Montreuil, le premier homme qu’il avait égorgé l’avait appelé Gengis Khan, dans un regard extatique et un craquement de cartilage. Il n’avait pas de nom ici et avait trouvé celui-ci amusant. Depuis cette époque, il avait enluminé ce titre du folklore de ses tueurs chinois, de sa loi inflexible et de la légende de sa cruauté tranquille. Aucune vie ne comptait pour le Grand Khan. Toute la vermine de Paris savait qu’il pouvait vous étouffer avec votre langue arrachée avant de s’en retourner à ses loukoums les mains poisseuses de votre sang. Même l’Américain le savait.
Le Khan ouvrit enfin les yeux.
« Jacques. Jacques Drion. Mon ami Jacques. Tu sais pourquoi je t’ai fait venir ici. »
Il avait parlé avec cette infinie douceur qui ne présageait rien de bon et ce sourire énigmatique qui relevait du plaisir sadique.
L’Américain répondit sous cape, sans décoller le front du parquet, d’une voix de gamin terré au fond d’une cachette.
« Oui, je le sais. »
Dans son dos, les deux rangées des barons de la pègre restaient impassibles. Intervenir, c’était courir le risque mortel de se retrouver devant, à la place du martyr.
« Alors, mon ami Jacques, tu vas expliquer à tes amis réunis pourquoi je t’ai convoqué aujourd’hui.
— Comme tu voudras, seigneur.
— Parle plus fort. On ne t’entend pas. »
Alors l’Américain parla plus fort, le visage toujours contre le sol. C’était comme si sa voix assourdie sortait déjà de son tombeau.
« Tu m’as convoqué, seigneur, devant l’assemblée de la Horde d’Or pour que je puisse m’expliquer au sujet du mitraillage du Bazar de l’Hôtel de Ville.
— Ce n’est pas tout à fait exact, Jacques. Tu sais bien que je désapprouve cette opération et que tu as eu tort de l’organiser. Tu le sais, n’est-ce pas ?
— Oui, seigneur.
— Tu es donc ici pour recevoir mon jugement. Dis-le, s’il te plaît.
— Je suis ici pour recevoir ton jugement.
— Parfait. Raconte ce que tu as fait.
— C’était un salaud qui ne me payait plus rien depuis des mois ! Alors, mes hommes sont allés lui donner une leçon en mitraillant son magasin ! »
Il s’était redressé, déployant sa carrure de géant, et pointait le Khan de l’index. Pour l’assemblée, la réapparition de ses moustaches et la libération de sa voix claire le rendirent brusquement plus réel. Il y eut quelques mouvements vite étouffés.
Le Khan ferma les yeux et se replongea dans un instant de méditation. Le silence et la solitude se refermèrent sur l’Américain. Il se retourna sur deux rangs de regards perdus, ses amis, ses adversaires, son passé désormais. Il regarda les murs, les lampes, à la recherche d’une solution ou de juste quelques instants de dignité. Puis il courba son immense carcasse pour poser de nouveau son front sur le sol. Sa respiration bruyante ne se calma plus.
Le Khan put rouvrir les yeux.
« Excuse-moi de t’interrompre encore, Jacques, mais tu es trop imprécis. Tu me dis que tes hommes ont effectué cette opération, mais qui leur en a donné l’ordre ?
— C’est moi, seigneur. Mais je ne savais pas que cette action pouvait nuire à tes intérêts. Je suis désolé et je te présente mes excuses.
— Mes intérêts ? Qui es-tu pour juger de mes intérêts ? Tu penses à l’argent, tu penses au pouvoir. Et l’honneur, Jacques ? N’as-tu donc pas d’honneur ? L’honneur, c’est ce qui sauvera ton âme lors du Jugement dernier. Tu as tué des femmes. Quel genre d’homme, quel animal es-tu devenu pour tuer des innocentes ? »
Il marqua un arrêt.
« Crois-tu en Dieu, Jacques ?
— Oui, seigneur, hésita-t-il.
— L’honneur, c’est le certificat de bonne conduite que tu emporteras hors de ce monde de larmes. Que diras-tu à toutes ces mortes qui témoigneront au tribunal divin ? Je ne serai pas là pour te défendre, tu sais ? Dieu t’a ordonné de ne pas tuer et regarde ce que tu fais !
— Mais, seigneur, toi-même, tu as tué… »
Il avait redressé la tête pour la baisser aussitôt. Le Khan s’était levé dans un mouvement parfait de fluidité. Il était assis, massif, sur son coussin et, l’instant d’après, il se tenait debout et dominait de son étrange grâce bestiale l’accusé recroquevillé à ses pieds et le tribunal soumis, derrière lui.
Une onde de chaleur balaya la salle, saisissant les âmes, envahissant les cœurs. Comme un besoin d’obéir, une soif insatiable de se soumettre. Même le souffle de l’Américain, contre le parquet vernis, retrouva un rythme apaisé.
À cet instant, le Khan était beau, de la beauté parfaite des dieux antiques. Ses lèvres de poupon tracées au pinceau esquissèrent un sourire.
« Vous êtes de la race des brebis, je suis de celle des bergers. Respectez les commandements de votre Dieu et acceptez mon aide. Contentez-vous d’être des hommes d’honneur et de suivre la voie que je vous montre et vous aurez votre place au royaume des cieux, à mes côtés. »
Dans son peignoir coloré, il ressemblait à un monstrueux baigneur rose et lisse. Il rayonnait l’ordre omnipotent, le règne et la puissance. À ses pieds, les lieutenants de sa Horde s’inclinèrent d’instinct comme devant une idole sacrée. Certains fermèrent les yeux.
« Baptiste ! »
La porte s’ouvrit derrière lui sur le petit homme buriné qu’ils connaissaient tous, l’homme des destins funestes, le gardien du bout de la route. Il portait un grand bocal de verre, un bocal à cassoulet ou à fruits confits. Un pot dont l’incongruité en ces lieux faisait un objet d’horreur.
Le tribunal accueillit Baptiste avec résignation.
« Redresse-toi, Jacques, car voici mon jugement. »
Le Khan avait le visage heureux de celui qui croit avec sincérité annoncer une bonne nouvelle.
« Tu me donneras tes yeux pour payer ta faute. Tu les placeras dans ce bocal, dans un peu d’eau. Agis avec soin. C’est un cadeau que je compte faire à une dame. Baptiste va venir avec toi. Il pourra t’aider si tu n’y parviens pas seul. Va, mon ami, et je te pardonnerai. »
Baptiste saisit le bras de l’Américain, qui quitta le tribunal, le dos voûté, sans ajouter un mot.
« Ne tardez pas, ajouta le Khan. Je dois bientôt partir et j’aurai besoin du bocal. »
« Thi Mai, ma petite, apporte-moi à boire et viens me rejoindre. »
La Horde avait déserté le tribunal sans que personne n’ose un commentaire. En silence, au signal des trois Annamites, tous s’étaient levés et avaient quitté la salle après un salut respectueux.
Sur son coussin, le Khan avait retrouvé sa posture bien droite, bien symétrique, face au milieu du bord de la table. Un domestique ouvrait les rideaux sur la nuit noire du dehors. Le Khan aperçut des étoiles derrière un nuage que la lune rendait soyeux.
« Que ce monde est beau ! »
Puis son regard se perdit dans les volutes de vapeur qui montaient de son thé brûlant.
Sa favorite s’était allongée à ses côtés, la tête posée sur la cuisse détendue de son maître. Doucement, les doigts du Grand Khan s’enfoncèrent dans ses cheveux parfumés, se laissant caresser par la soie des mèches noires comme sur le bord d’un bateau on laisse sa main traîner dans l’eau.
Son souffle léger troublait le filet de vapeur au-dessus de la tasse. Il s’en amusa et aspira plus fort pour attirer à lui la brume fragile. L’odeur de lotus lui fit fermer les yeux. Il approcha de ses lèvres la tasse de verre et son liquide ambré. Il sentit sur sa langue et dans sa gorge la délicieuse brûlure du thé, qu’il laissa s’écouler jusqu’au fond de ses entrailles.
Puis il lança avec force la tasse vide sur le sol, devant l’estrade. Il lui avait suffi de détendre son bras puissant. La fille à la robe rouge avait bougé la jambe, dans un sursaut.
L’objet explosa en touchant le parquet vernis, projetant en corolle un nuage de tessons brillants. Le Khan concentra son attention sur un morceau de verre qu’il trouva tout de suite plus joli que les autres. Un petit éclat hexagonal à la forme presque parfaite. Comme son visage était orienté dans la bonne direction, il décida de tout arrêter pour se donner le temps de le contempler. Arrêter son souffle, arrêter le glissement de la soie rouge, arrêter le grain de sable dans le sablier. Les flammes des lampes se reflétaient dans les facettes délicates et semblaient y jouer avec la lueur du cuivre alors que le joyau de verre s’était figé dans sa virevolte. Il avait dépassé ses congénères, qui déjà retombaient sur le sol en cliquetant. Le Khan laissa filer le présent par saccades, s’amusant de la trajectoire hachée de l’infime fragment. À la fin, il l’arrêta, seul, suspendu au milieu des airs, défiant de sa minuscule vanité le feu des lampes et la lueur pâle des étoiles.
Puis il reprit sa respiration, laissant tomber le verre et glisser la soie. Il s’avança et vint cueillir sur le parquet le délicat joyau parmi les gouttes de thé et les morceaux de tasse.
« Tiens, ma belle, c’est un cadeau. Un bijou que j’ai créé pour toi. Tu t’en feras un collier. »
La porte du fond s’ouvrit.
« Seigneur, la voiture est prête. »
Le Khan attrapa la main de sa favorite qui jouait avec le brillant aux faces coupantes.
« Viens avec moi. Je ne veux pas y aller seul. »
À petits pas, entravée par sa longue robe de soie, elle suivit son maître jusqu’à la cour pavée où s’alignaient les voitures de prix.
On lui avait apprêté une imposante berline rouge qu’il avait fait venir d’un atelier du Mans. C’était sa voiture de travail, son cabinet automobile. Elle était assez vaste pour qu’il s’y sente à l’aise, dans le respect d’une distance acceptable avec ses interlocuteurs. Le chauffeur avait sa place derrière une cloison opaque, loin des secrets de son seigneur. Cette cabine ventrue perchée sur des roues de charrette, on appelait cela le style Diligence. Le constructeur lui avait confié que cela plaisait à une clientèle d’outre-Atlantique qui prenait ces formes désuètes pour un charmant clin d’œil à leur histoire de pionniers.
Le temps qu’il repense à l’Américain et Baptiste était déjà là, avec un linge dans les bras.
« Le bocal, seigneur. »
Il posa le paquet dans un coin, sur la banquette de moleskine. Il était plus lourd qu’il avait pensé, trop lourd sans doute. La prochaine fois, il demanderait qu’on utilise un pot plus petit.
Dans la voiture, la favorite reprit sa place sous les doigts de son maître perdus dans ses cheveux.
Montreuil disparut et Paris commença à s’écouler derrière la vitre. Les taches de lumières, les façades de pierre. Il aurait voulu se laisser bercer par les cahots des pavés et le clapotis du bocal.
« Que ce monde est beau. »
Il tira une mèche comme pour s’assurer de sa réalité.
« Aïe ! »
Il déposa un baiser dans les cheveux noirs.
La voiture s’immobilisa sur le côté d’un boulevard cossu, bordé d’arbres. Le chauffeur avait réduit le régime et maintenait le ralenti pour ne pas réveiller les riverains. Mais un deuxième moteur vint se joindre au concert. Du bout de l’allée, une luxueuse espagnole avait quitté son poste de guet pour approcher. Une Hispano-Suiza clinquante, d’un élégant gris souris surchargé de chromes et de courbes, la perfection dans l’ostentation.
Le Grand Khan s’approcha de la vitre pour admirer cette pièce qui manquait à sa collection. Il la regarda s’avancer et venir se placer tout contre le flanc obèse de sa diligence. Les portières s’ouvrirent dans un beau mouvement synchronisé, laissant glisser une ombre jusqu’à la banquette vide, face à lui.
« Bonsoir Victoire. J’étais en train d’admirer ta magnifique automobile. La république ne te refuse plus rien.
— Épargne-moi tes galanteries et débarrasse-moi de cette créature.
— Elle ? C’est Thi Mai, une charmante demoiselle que tu apprécieras quand tu la connaîtras mieux.
— Fous-moi ça dehors !
— Oh. Madame Desnoyelles n’est pas de bonne humeur ce soir. Et je crois deviner pourquoi. Tiens, ma grande, j’ai un cadeau pour toi. »
Elle ne bougea pas. Ces manières de tartarin, il lui fallait toujours un moment pour s’y acclimater. C’était comme changer de langue, son esprit avait besoin de quelques phrases pour accepter la conversion. Le temps de réagir et le Khan avait déjà déposé le paquet sur ses genoux.
D’un geste ample et théâtral, il en retira le linge comme on inaugure une œuvre d’art. L’eau du bocal s’était teintée de rose à cause du sang. La présidente ne comprit pas sur-le-champ quelle nouvelle fantaisie il lui présentait. Puis, au hasard d’un courant, les deux ludions étranges qui ballottaient entre deux eaux lui adressèrent un regard. Dans un réflexe d’effroi, elle repoussa l’objet, que le Khan saisit avec dextérité.
« Tu es un porc ! Comment oses-tu ?
— Laisse-moi t’expliquer. Un ami à moi, cet après-midi, a commis une erreur qu’il regrette. Il a fait mitrailler un magasin et tuer des femmes innocentes. Je suis certain que tes services t’ont mise au courant. Son geste est inqualifiable et l’idée qu’il puisse te déplaire l’a plongé dans un remords inconsolable. Aussi m’a-t-il chargé de t’offrir son modeste regard, qu’il te cède de bon cœur avec une spontanéité toute naïve. En te demandant de bien vouloir accepter ses excuses.
— Je ne suis pas venue te parler de cela. Débarrasse-moi de cette horreur et partons d’ici ! »
Le Khan frappa trois fois sur la cloison et la berline accéléra avec paresse, laissant sur le trottoir la jeune fille, ses longs cheveux noir sur sa robe de soie impeccable, un bocal à confit dans les bras. À distance, l’Hispano-Suiza embraya pour s’accrocher au sillage de la diligence.
À l’intérieur de la cabine, on prit le temps de réfléchir. Victoire avait tourné la tête et regardait passer les rues. Le Khan l’observait, le regard adouci. Il imaginait les plans et les calculs qui s’affairaient dans ce crâne. Compter les réverbères, ça n’était pas le genre de la présidente. Derrière ces yeux perdus, elle devait aiguiser ses arguments. Il l’attendait.
Est-elle belle ? se demanda-t-il. Il se souvenait qu’elle avait été jeune. Toutes les femmes sont belles quand elles sont jeunes. Mais la fonction avait tendu ses traits. Ses dents serrées faisaient saillir le muscle de sa mâchoire sous la peau blanche. Un Viking prisonnier d’un corps de femme, voilà ce qu’elle était. Il sourit.
« Que cette ville est belle, n’est-ce pas ? »
Elle ne répondit pas. Peut-être ne l’avait-elle même pas entendu.
« Moi aussi, je l’ai contemplée sur la route de Montreuil. Tu peux être fière de ta capitale.
— Paris n’appartient pas à la présidente du Conseil. Contrairement à toi, je ne dispose ni d’un territoire ni des sujets serviles qui vont avec.
— Ça y est, les grimaces ! Détends-toi, Victoire. Ce qui est à moi est à toi, tu le sais bien.
— À toi ? N’oublie pas que, sans moi, tu ne serais pas ici. Ce qui est à toi, comme tu dis, c’est moi qui te l’ai donné.
— Tu me l’as donné ? J’ai dû y travailler un peu, tu ne te souviens plus ?
— Tu as fait ce que je t’ai demandé de faire.
— Tu vois ? Chaque fois que l’on ressasse le passé, on finit par se fâcher. Je te disais juste que la ville est belle. Regarde les étoiles. Regarde la lune. Tu as besoin de rêver, Victoire. »
Avec délicatesse, il avait posé la main sur son genou. Si doucement qu’elle ne s’en était pas aperçue.
« Tu as raison. »
Ses yeux restaient absorbés par l’obscurité du dehors. Sur sa joue, le muscle avait disparu. Le Khan referma ses doigts sur sa jambe.
« Il y a longtemps que tu n’avais pas demandé à me rencontrer, Victoire.
— Oui, c’est vrai.
— Ça fait combien ? six mois ? un an ?
— Les choses vont mieux à présent. Je n’ai plus besoin de te convoquer aussi souvent.
— Me convoquer. Quel vilain mot ! On ne convoque pas le Grand Khan, voyons !
— Appelle ça comme tu veux. Je te demande de venir et tu viens. Le reste, c’est de la rhétorique. »
Il laissa échapper un rire métallique, biliaire, qui lui sortait du foie. Un rire d’attaque, un tir de barrage.
« Espèce de garce ! Tu ne changeras donc jamais ! Regarde autour de toi. Tu es dans ma voiture. Tu appelles ça me convoquer ?
— N’inverse pas les rôles. Tu sais bien que j’aurai le dernier mot. N’oublie pas que ton pouvoir s’arrête à ma porte. »
Elle avait enfin tourné la tête. Elle entre dans ma sphère, pensa le Khan. Il appuya sa paume pour s’assurer qu’elle sentait bien maintenant la main sur son genou. Elle ne réagit pas.
« Soit. Madame la présidente, je me résous donc à davantage de discipline. Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de cette convocation ?
— Excuse-moi. Tu as raison. Je suis un peu fatiguée, ce soir.
— Allons ! Nous sommes entre vieux amis, détends-toi. »
Il avait avancé la main plus haut sur sa cuisse, renforçant son étreinte.
Une gifle violente lui fit lâcher prise.
« Salaud ! Alors tu essaies encore ? Je t’avais interdit !
— Interdit, dit-il en riant. Si tu veux vraiment que je ne tente plus ma chance, tu n’as qu’à m’en donner l’ordre !
— Pas besoin de ça ! Comme tu le vois, je suis tout à fait capable de te résister. »
Elle avait glissé jusqu’au bout de la banquette. Le temps de reprendre son souffle, elle revint s’asseoir au centre, bien en face de lui, le dos creusé pour placer son regard au niveau du sien.
« Le tsar de Russie, Nicolas II, arrive à Paris demain, dans la matinée.
— Je suis au courant.
— Les Russes en profitent pour venir fouiller dans mes affaires et je n’aime pas ça.
— L’Okhrana ? Des amateurs. Tu n’as rien à craindre d’eux.
— Ce n’est pas aussi simple. Je ne sais même pas pourquoi le tsar désire brusquement visiter la France. Il y a beaucoup trop de mystères dans cette affaire.
— Il vient découvrir le métropolitain, c’est ça ?
— Oui, tu es bien informé. Sais-tu ce qui peut l’intéresser ? D’autres affaires dans la capitale qui pourraient expliquer cette urgence ?
— Peut-être simplement qu’il a besoin de voir du pays. Il a tellement de problèmes chez lui.
— Des problèmes, il y en a surtout qui l’attendent ici. Il a des ennemis plein Paris. Lénine et sa clique, tu connais ?
— Lénine ? Oui. Un emmerdeur.
— Tu as des informations sur lui ?
— Il trafique. Des armes, des dissidents qu’il fait venir. Il édite son journal, il donne des conférences.
— Je sais tout cela. Rien de plus ?
— Non.
— Qui lui fournit les armes ?
— Ne t’inquiète pas. Je garde le contrôle. Il n’y a aucun danger par là.
— J’ai rencontré les Russes, tout à l’heure. Ils prévoient des moyens importants. Je pense qu’ils craignent quelque chose. Je n’ai pas envie qu’il y ait le moindre incident.
— Oui, je comprends.
— Non, tu ne comprends pas. Ils savent des choses à mon sujet. À notre sujet…
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— S’il arrive quelque chose pendant cette visite, quelque chose comme le mitraillage de cet après-midi… Ils pourraient nous faire très mal. Et permets-moi de te rappeler que si je tombe tu n’existes plus ! »
Elle avait porté les doigts à la bouche. Elle tremblait légèrement. L’énervement ? La colère ? La peur ? Ses yeux ne disaient rien, ses beaux yeux clairs qui n’allaient pas avec ses cheveux sombres.
Le Khan se frappa les cuisses.
« Et alors ? Je ne vais pas interrompre mes petites affaires chaque fois qu’un chef d’État vient te rendre visite !
— Si, justement. C’est ce que je suis venue te demander.
— C’est la meilleure ! Et ton argent, ma belle, tu sais d’où il vient ?
— Deux jours. Je ne t’en demande pas plus.
— Mais mes hommes ne vont rien y comprendre ! Tu crois que je vais leur demander d’aller passer deux jours à la mer ?
— Non. Tu vas leur demander de garder un œil sur ce Lénine. Et tu vas leur demander de veiller à la sécurité du tsar. Tes troupes connaissent tout ce qui peut, de près ou de loin, causer du tort à mon invité. Il n’y a pas mieux placé qu’eux pour éviter les bavures.
— Tu es folle ? Ma Horde n’est pas une bande de larbins corvéables. Je ne veux pas qu’elle retourne sa veste pour plaire à ton tsar.
— Je me fiche de ce que tu peux vouloir ou ne pas vouloir. À partir d’aujourd’hui, et pour deux jours, je te tiendrai personnellement responsable de la vie du tsar Nicolas. Et particulièrement lors de la visite du métropolitain.
— Du métropolitain ?
— Oui. En vertu d’accords entre ma police et l’Okhrana, il n’y aura pas de forces françaises sur le parcours du train. Je ne comprends pas ce que les Russes manigancent et ça ne me plaît pas du tout. Mais si mes agents ne peuvent pas y mettre les pieds sous peine d’un incident diplomatique, tes hommes n’ont pas cette contrainte.
— Et tu crois réellement que je vais convoquer mes troupes pour leur expliquer ton délire paranoïaque ?
— Il va bien falloir que tu m’obéisses. »
Le visage du Khan se durcit. Il avait bien compris. Il avait compris avant même qu’elle monte dans cette voiture. Sinon, pourquoi aurait-elle demandé à le rencontrer ? Elle allait utiliser la Voix, il le savait. Ne l’avait-elle pas utilisée chaque fois qu’ils s’étaient rencontrés ? Madame la présidente ne se déplace pas pour rien. Mais il voulait encore croire qu’il pouvait l’éviter, c’était sa faiblesse.
« Quelle étrange relation que la nôtre.
— Ne te fatigue pas à roucouler.
— Non, je suis sincère. Quel destin prodigieux nous partageons. Nous possédons un pays, Victoire. Parfois, je pense à toutes ces âmes. Sens-tu comme elles coulent entre tes doigts ? »
Il continuait à parler. Peu importe ce qu’il disait. Seule comptait sa voix qu’il entretenait comme un feu doux. Seul comptait le charme. Sans interrompre le flot de ses paroles, il jaugeait le visage de Victoire comme on surveille la cuisson d’une volaille. Combien de temps mettaient ses paupières pour se rouvrir à chaque clignement d’yeux ? Sa peau était-elle toujours aussi ferme au coin de sa bouche ? Un instant, le Khan devinait l’ombre de son maléfice progressant sur ces traits. Puis elle semblait disparaître, chassée par un soupir de sa victime.
Alors, pour vérifier son emprise, il tendit le bras jusqu’à ce que le bout de ses doigts effleure sa joue. Victoire eut un sursaut, imperceptible, une résistance qu’il crut illusoire. Puis elle s’abandonna, s’enfonçant dans l’édredon de sa main potelée. Elle savoura le temps qui passe, les pavés, le moteur, la nuit. Regarde, peuple de France, pensa-t-il triomphant, je tiens ta présidente dans le creux de ma main !
Mais elle rouvrit les yeux. À ses pupilles trop nettes, il comprit que c’était fini.
« Tu es une femme surprenante.
— Parce que je te résiste ?
— Parce que tu me ressembles.
— Peut-être un peu. »
Elle saisit sa main et la repoussa avec délicatesse comme pour la lui rendre. Il agrippa ses deux poignets qu’il leva vers lui. Elle ne pesait rien.
« Réfléchis, Victoire ! Que feras-tu s’il y a un accident ? As-tu déjà oublié le mitraillage du Bazar de l’Hôtel de Ville ? Mes hommes sont des chiens, je ne peux pas garantir qu’ils ne mordront pas le jarret d’un Russe.
— Alors, tu les accompagneras.
— Quoi ? Le chef de la Horde d’Or, en pleine réception protocolaire ?
— Tu sauras te faire discret. Tu te caches à longueur d’année. C’est dans ta nature.
— C’est stupide ! Pourquoi prendrais-tu ces risques ?
— Une réunion spéciale de l’Okhrana, ce soir. Avec le grand patron en uniforme d’apparat qui vient s’assurer que ma police les laissera tranquilles. Le tsar qui débarque sans prévenir dans le seul but de visiter le métropolitain. Et avec ça, voilà qu’ils me parlent du Grand Khan ! Chez moi ! Et qu’ils m’agitent sous le nez mon ministère des Affaires implexes comme un mot obscène ! Ne serais-je pas inconsciente de penser que cela ne cache rien ? »
Elle avait crié. L’allure de la diligence faiblit d’un coup pour repartir de plus belle. Le Khan lui lâcha les poignets.
« Je…
— Tais-toi ! J’ai pris ma décision. Et tu sais que tu n’as pas le pouvoir de me faire changer d’avis. »
Le Khan s’éloigna d’elle et retrouva sa symétrie, le menton rentré, les muscles lâches.
« Je suis prêt », murmura-t-il sur le ton du condamné.
Il mentait. Jamais il n’avait été prêt à recevoir cette abomination qu’était la Voix. Il surprit un frisson qui courut d’une épaule à l’autre de sa présidente. Il se demanda si cette expérience lui était aussi pénible qu’à lui.
Elle prit une respiration, plus profonde que les précédentes.
« Bélial ! » rugit la Voix.
C’était une voix d’homme, la voix grave et anguleuse d’une incarnation virile qu’elle aurait gardé cachée au fond de sa gorge. Une voix qui ne s’adressait qu’à lui, à la moindre des cellules de son corps. La Voix qui le liait à elle dans un pacte contre-nature.
Il s’inclina comme il le devait, semblable à un enfant docile qui attend sa punition. Il eut la vision fugace du corps recroquevillé de l’Américain.
« Oui. Je t’écoute.
— Je t’ordonne, Bélial, de consacrer toute ta puissance à protéger le tsar Nicolas II. Tu n’auras de repos que lorsqu’il sera rentré sain et sauf en Russie. Je t’ordonne d’être présent dans les couloirs du métropolitain lorsque j’y serai avec le tsar afin d’intervenir si je te le demande. Je t’ordonne enfin de surveiller Vladimir Lénine et de les empêcher d’agir, lui et ses révolutionnaires. »
Il n’entendait pas vraiment ces mots, pas comme on devrait entendre, avec ses oreilles, avec son esprit. Il les absorbait par ses yeux et par sa peau, il les encaissait avec son cœur et avec son ventre.
Victoire frappa la cloison à côté de sa tête.
« Arrêtez-vous ici, je vous prie ! »
Elle avait retrouvé son timbre pointu, ravalant l’entité monstrueuse qui avait parlé à sa place. La diligence ralentit, rattrapée par la belle espagnole pour leur pas de deux bien réglé.
Comme la présidente rejoignait l’incognito de sa voiture de luxe, elle eut un dernier regard pour son bouddha hébété sur son siège de moleskine. Le regard planté dans la paroi d’en face, il ne pouvait plus voir le triomphe dans ses yeux clairs.
Le Khan s’éclaircit la gorge pour rappeler à lui la réalité. Il faisait encore nuit noire mais il n’aurait pas été étonné de voir, par la vitre, le soleil se lever.
Il ne pouvait pas le sentir, mais le monde avait changé. Déjà il ne se souvenait plus de l’homme qu’il avait été la veille. Il était le Grand Khan, seigneur de la Horde d’Or, et il savait précisément ce qu’il avait à faire. Il l’avait toujours su.
« Nous ferons un détour par Neuilly », cogna-t-il à la cloison.
La diligence vira à gauche et prit le large.
Du calme des rues de Paris, ils s’enfoncèrent dans l’immobilité mortifère des allées de Neuilly. Ils emmanchèrent la rue de la Ferme jusqu’au bout, jusqu’à la belle villa à deux étages que les rombières du voisinage appelaient le château fort. La plaque pourtant affichait « Faculté des sciences hermétiques » mais le titre pédant n’impressionnait pas les vieilles dames.
Un homme, sorti d’un bosquet, s’avança en trottant vers la voiture qu’il avait reconnue. Il ôta sa casquette avec respect et approcha la tête au niveau de la vitre.
« Bonsoir, seigneur.
— Bonsoir. Tout va bien par ici ?
— Oui.
— Tu peux aller me chercher Papus ? Je l’attends dans ma voiture.
— Il est sorti, seigneur. Il y a plus de deux heures.
— Et Lucrèce ?
— Elle est avec lui. Ils ont emmené les deux autres aussi.
— Tous les quatre ? En pleine nuit ? Sais-tu où ils sont partis ?
— Non. Nous n’avons pas de véhicule ce soir. Pas même une bicyclette. Nous n’avons pas pu les suivre.
— Imbécile ! Et tu n’as rien entendu ? Ils n’ont rien dit ?
— Ils sont sortis en voiture et ils ont pris la direction de Paris. C’est tout ce que je sais.
— Ils ont déjà fait ce genre d’escapade, ces jours-ci ?
— Non. Les conférences de monsieur Papus, les amis de mademoiselle Lucrèce. Le train-train.
— Et il ne s’est rien passé d’anormal aujourd’hui ?
— Si, justement. Un peu avant leur départ, ils ont reçu la visite de Vladimir Oulianov, le révolutionnaire russe.
— Lénine ? Il est venu en personne ?
— Oui. Il n’était accompagné que de ses gardes du corps.
— Ils venaient chercher une livraison ? Ils avaient un camion ou un véhicule quelconque ?
— Ils sont arrivés en voiture mais ils n’ont rien emporté.
— Ce Lénine, il vient souvent ?
— C’était la première fois. »
Ça faisait beaucoup pour une seule soirée. Après la mère, la fille ! Pour la sécurité du tsar, il faudrait bien que Lucrèce arrête ses magouilles pour un moment. Il devait bien reconnaître qu’elle avait vite attrapé le virus des affaires, la petite. Mais ce qu’il n’aimait pas, c’était son côté romantique. Elle y croyait vraiment, à la révolution internationale et à la lutte des classes, et cela rendait tout si compliqué ! Et puis, cette escapade nocturne avec l’équipe au grand complet, ça remuait de vieux souvenirs et ça ne présageait rien de bon.
« Dis à Papus de venir me voir dès qu’il rentrera.
— Cette nuit ?
— Dès qu’il rentre, tu me l’envoies à Montreuil. Et dis-lui aussi de boucler ma fille jusqu’à nouvel ordre. Et les deux autres aussi, David et Raymond.
— Bien, seigneur.
— C’est bien simple, tu dis à tes hommes de surveiller la villa et de bloquer tout ce qui sort et tout ce qui rentre.
— J’ai compris, seigneur.
— Et trouvez-vous des bicyclettes. Vous en aurez peut-être besoin. »
La diligence fit demi-tour et reprit son allure d’asthmatique. Le Khan tira les rideaux pour tenter de dormir un peu mais le sommeil semblait le fuir. Il ne dormirait plus, il le savait, pour deux jours encore. Une caféine avait envahi ses viscères, pollué ses humeurs, un jus piquant qui ne le lâcherait pas.
Derrière ses paupières closes, il vit le visage sévère du tsar Nicolas et sa barbe en pointe. Désormais, il aimerait cet homme. Plus que tout au monde. Il donnerait sa vie, son or, son empire pour le protéger.
Ça lui montait d’en bas, ça lui donnait la chair de poule. C’était un besoin archaïque, une soif qu’il ne pourrait calmer. Pas avant deux jours, en tout cas.
Et chaque fois qu’il fermait les yeux pour résister à la pulsion, la Voix revenait battre à ses oreilles et relancer son souffle farouche.
Il frappa la banquette de toutes ses forces, juste en face de lui. « Salope ! »